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Ciro Discepolo | Coin Francais | Bienvenue à Gattaca et Code 46: un Big Brother espionnant à travers un microscope

 

 

Bienvenue à Gattaca et Code 46:
un Big Brother espionnant à travers un microscope

Ciro Discepolo

 


Traduction de Claudine Galtieri

 

 

 

Au cours d'un débat public, un jeune étudiant universitaire me demanda si j'étais convaincu que grâce à l'astrologie, il serait possible, dans un proche avenir, d'éviter  l'accession au pouvoir d'un homme comme Hitler, par exemple en passant au crible la carte des ciels de naissance de la population. Je lui répondis en faisant référence à deux films qui, durant ces dernières années, m'ont fait beaucoup réfléchir : Bienvenue à Gattaca, film américain de 1997 et Code 46, production britannique de 2003 du réalisateur Michael Winterbottom.

Ces deux films ont un point commun : dans un proche avenir, une société gouvernée, administrée et planifiée par un contrôle génétique total qui tend, de toute évidence, à réduire le plus possible les erreurs de la nature, imposant ainsi une dictature de la "race parfaite" sur les "Invalides". Le clin d'œil, indirect, au très célèbre 1984 de George Orwell apparaît plus qu'explicite : la dictature du "Parti", des "Institutions", d'une minorité convaincue que, pour qu'une société fonctionne bien, elle doit contrôler chacun de ses citoyens. Dans le chef d'œuvre d'Orwell, les contrôles étaient effectués grâce aux innombrables caméras cachées dans les moindres recoins du monde habité, placées de telle sorte qu'elle puisse espionner le moindre mouvement de tous les êtres vivants. Dans Bienvenue à Gattaca et dans Code 46, les "Institutions" effectuent, dans le même but, des examens d'ADN : grâce à une goutte de sang, à un minuscule fragment de peau, à un cil, ou à une goutte de salive, n'importe quel inspecteur de police peut savoir tout de tout le monde et avoir ainsi un contrôle total sur l'humanité. William (dans Code 46) est enquêteur chez Sphinx et il doit découvrir et arrêter Marie (Samantha Morton) qui fabrique des faux "papeles" (sorte de laissez-passer) permettant ainsi aux humains de quitter les immenses mégalopoles qui devraient être le paradis (Shanghai n'a pas eu besoin de relooking ultramoderne) et qui au contraire – probablement – sont déjà un enfer, pour se rendre dans d'autres mégalopoles du monde habité.

Les délinquants sont expédiés à "Fuera", c'est-à-dire "dehors", une sorte de purgatoire permanent représenté par de vastes déserts où ce monde constitué de personnes n'ayant pas le "papel" ressemble à une immense cour des miracles pleines d'estropiés, de mendiants, d'exclus en tout genre. Le Code 46 interdit strictement aux personnes ayant un ADN similaire de s’accoupler et le Big Brother, qui surveille tout, sait en temps réel si cette règle a été violée. C'est ainsi que l'inspecteur William passe de l'état de chasseur à celui de proie et il se retrouvera, lui aussi, avec sa jeune maîtresse, à Fuera. Evidemment ce film offre d'autres sujets de réflexion importants qui nous touchent de près comme la liberté de choix, le péché originel d'Adam et Eve, la possibilité de sortir d'un schéma et d'un destin. Le parallèle avec le film de Andrei Niccol est assez aisé. Dans Gattaca, les êtres humains sont conçus dans des éprouvettes et les parents peuvent choisir la couleur des yeux de leur futur enfant, ses penchants musicaux, sportifs et beaucoup d'autres choses encore. Quelques romantiques s'en remettent encore au hasard et conçoivent leur enfant sur le siège arrière d'une voiture, mais la "punition" ne tarde pas à arriver directe et implacable : quelques secondes seulement après la naissance, l'examen de l'ADN dira que ce nouveau-né mourra, avec une probabilité de 99 %, à trente ans à cause d'une grave malformation cardiaque. Le père de cet enfant malchanceux décide, comme par défi, de l'appeler Vincent et Vincent rêvera durant toute son enfance, d'être un gagnant [vincente, en italien est le participe présent du verbe gagner, comme le prénom Vincent]. Son frère Anton est un "Valide" conçu en éprouvette et destiné à vivre dans l'élite de la société. Vincent, comme les autres "Invalides", est affecté aux travaux les plus humbles (le parallèle avec la tour des grecs d'où étaient jetés les enfants malades et avec la purification ethnique des nazis se passe de commentaires). Mais si l'histoire s'arrêtait là, cela serait assez banal et peu intéressant pour nous, astrologues. Non, c'est l'histoire d'un défi et d'une revanche. Vincent n'accepte pas sa condition d' "Invalide" et rêve durant toute son enfance et sa jeunesse de devenir astronaute, d'aller dans les étoiles (claire compensation de type adlérien). Cependant toutes les grilles de Gattaca Corporation sont blindées et infranchissables : il n'est possible d'y entrer que si une toute petite quantité de sa propre urine dit que le candidat est un "Valide" avec un quotient d'intelligence extrêmement élevé et sans aucun défaut physique. Comment Vincent pourra-t-il surmonter un tel obstacle ? Il aura recours à une escroquerie génétique et empruntera les gènes d'un "Super Valide" qui se retrouve en fauteuil roulant à cause d'un accident de la route. Pour cela, le héro ira jusqu'à se faire allonger les jambes pour obtenir la stature de l'autre, se raser le corps tous les matins afin d'éviter que la moindre scorie ne tombe sur le clavier électronique et uriner à travers une micropompe qui délivre le liquide du "Super Valide" à chaque contrôle quotidien. L'intrigue est vraiment intéressante ainsi que l'échange des rôles entre le "Valide" et l'"Invalide" qui doit être décodé : dans la mise en scène, les dialogues, les replis apparemment insignifiants de la trame. Chaque soir, en rentrant à Gattaca, Vincent  descend un interminable escalier en colimaçon au bout duquel se trouve le "Super Valide", Jérôme Morrow (Jude Law) dans son fauteuil roulant : comme dans Le compagnon secret de Joseph Conrad, il y a un incessant échange de rôles dans l'éternel double Dr Jekyll/Mr Hyde. Le président de la compagnie spatiale qui avait découvert la supercherie est assassiné afin qu’il ne parle pas. A la fin du film, Vincent, après avoir battu pour la seconde fois son frère Anton dans une compétition, comme dans leur jeunesse (« … le secret de ma victoire réside dans le fait que moi je n'ai jamais économisé mon souffle pour le retour… ») et lui avoir sauvé la vie pour la seconde fois, il réussit à déjouer tout type de contrôle, part pour Titan et réalise ainsi son rêve de toujours tout en ouvrant un monde d'espoir aux "Invalides". Il me semble qu'ici nous allons outre le concept de choix et de libre-arbitre : dans le film on envisage la possibilité qu'il existe quelque chose, outre l'ADN et les éléments contrôlables scientifiquement, permettant d'aller dans l'espace même si c'est en théorie impossible. Pouvons-nous donc dire qu'il existe une autre variable (les astres, au sens astrologique) qui détermine le destin d'un homme? Pouvons-nous affirmer que toute forme "totale" de contrôle sur les êtres humains est à la fois stupide et raciste (pour répondre à la question initiale de l'étudiant)? Est-il possible d'ajouter, comme je le pense désormais depuis fort longtemps, que notre destin est écrit dans les moindres détails mais que chacun de nous peut en changer le scénario ? Je vous laisse le soin de faire d'autre réflexions et d'en tirer les conclusions (si elles existent) et je souhaite terminer avec le distique final du film, les paroles de Vincent alors qu'il est dans la fusée en direction de Titan : « … On dit que chaque atome de notre corps faisait autrefois partie d'une étoile : peut-être que je ne pars pas, peut-être que je rentre chez moi ».